SUR LES TRACES DE LA LANDE D'ANTAN !

ou les métamorphoses du paysage landais

Jamais paysage n'aura été aussi radicalement transformé que le paysage landais ! A tel point qu'il est, aujourd'hui, presque impossible de se représenter ce que furent vraiment les landes de Gascogne d'avant la forêt !

Dressées à la fin du 18ème, les cartes de Cassini et de Belleyme, dessinent un paysage bien différent de celui que nous connaissons aujourd'hui. Leur observation confirme qu'il existait déjà une forêt landaise, mais que celle-ci se limitait à l'environnement immédiat des cours d'eau. Le reste était composé essentiellement de marais, de landes et bruyères.

Le bassin du Ciron était donc une région relativement bien boisée (chênaies notamment), car doté d'un réseau hydrographique abondant. Mais, au fur et à mesure que l'on s'éloignait des cours d'eau, la "forêt galerie", puis les bois, cédaient la place aux cultures et aux pâturages délimités par des crastes (fossés) plantés de chênes et de fragon, et pour finir, à la lande rase et aux marécages. Quant aux habitations, généralement regroupées sous forme de quartiers, elles se situaient généralement dans cet espace intermédiaire entre les bois et la lande rase, non loin de la rivière, au cœur de l'airial. Plus loin, perdus dans la lande se trouvaient les parcs (bergeries).


Extraits de la carte de Belleyme. Au nord et à l'est, on distingue nettement le bassin boisé du Ciron et, à l'ouest, celui de la Leyre. Partout ailleurs, la lande rase avec quelques parcelles cultivées autour des métairies qui se font de plus en plus rares dès qu'on s'éloigne des cours d'eau. Plus loin encore, toujours isolés ce sont les parcs (bergeries).
Consulter la carte de belleyme >>>


Moins précise -mais réalisée à la même époque- la Carte de Cassini confirme la localisation de la forêt autour des réseaux hydrographiques de la Leyre et du Ciron.
Consulter la carte de Cassini >>>

De la forêt à la lande rase

Une description très précise des paysages qu'offraient, au début du 19ème siècle, les landes de Gascogne entre le Bazadais et le bassin d'Arcachon, nous est donnée par Boudon de St Amand dans son ouvrage "Voyage agricole, botanique et pittoresque dans les Landes et la Gironde". A l'époque où Brémontier commence à fixer les dunes à l'aide de plantation de pins et où l'on commence à envisager l'assainissement et la mise en valeur des landes, l'auteur dresse du Ciron et de ses affluents, des tableaux qui nous sont familiers : un "vaste labyrinthe", un "dédale" de sentiers à travers bois et bruyères, des forêts où l'on exploite "échalas, bûches, fagots, poutres, planches de pins", le tout acheminé vers Bordeaux à l'aide de radeaux. "Ici, explique-t-il, le cri des scies, le bruit des haches, les voix des bûcherons, nous retiraient de l'assoupissante rêverie où nous plongeait insensiblement le voyage dans la forêt". Une forêt où la présence de résiniers indique qu'on y trouve déjà des pinèdes.

"Saint-Symphorien, comme Villandraut, comme Saint-Léger, comme tous les villages de cette partie des Landes, poursuit Boudon de St Amand, est enseveli dans les bois", mais dès qu'on s'éloigne du bassin du Ciron, le paysage change soudain. Il change même radicalement : "On marche quelque temps dans les pinadas, en quittant Saint-Symphorien ; on entre ensuite dans la bruyère des landes (…) Ces immenses landes, ces landes à perte de vue, où rien ne repose les yeux, si ce n'est la bruyère, ou rien ne les fixe au loin, si ce ne sont quelques troupeaux décharnés, conduits par des bergers à demi sauvages (…). De Hostens à Salles, on marche presque toujours dans les landes rases, où l'on remarque cependant parfois, de loin à loin, des bergeries, de petits bouquets de bois de pins, et des taillis de chênes".

Un pays de sable où les rares villages font figure "d'oasis" avec leurs potagers, leurs champs cultivés, leurs vergers … Un pays de sable et d'eau : "Pendant l'hiver, tout y est submergé ; c'est l'aspect du déluge universel. Dans les autres saisons, c'est, à la vérité, souvent le tableau de la plus complète sécheresse. Les eaux ont disparu, mais elles sont restées presque au niveau du sol, et la terre n'en est pas moins surabondamment abreuvée". Pour compléter ce tableau, il faut lui ajouter les champs de molinie, les lagunes et marécages de la lande humide."Pour peu que les routes soient enfoncées, elles deviennent des mares, des cloaques, où le voyageur nage avec son cheval, où il se débat, au risque de périr quelques fois dans une eau noire et fétide. Partout s'offrent, dans le printemps et l'automne, des flaques d'eau colorée par la tourbe qu'elle tient en dissolution, et des espèces d'étangs qui gênent souvent les communications les plus indispensables".

De la lande rase à la forêt

Le paysage de la lande des bois, de la lande du ciron et des ruisseaux s'est considérablement transformé mais bien moins que celui de la lande rase. La forêt galerie est relativement préservée car d'exploitation peu rentable. Quant aux chênaies situées en bordure immédiate des cours d'eaux, elles aussi seront généralement épargnées car dévolues au bois de chauffage. Ces paysages seront bien les seuls à subsister dans un état proche de celui d'origine car, dès qu'on s'éloigne de la rivière, les terres cultivées, les pâturages et même les bois de feuillus (chênes pédonculés et tauzin) disparaissent au profit des pinèdes qui grignotent jusqu'à l'espace de l'airail.
De nos jours, même si elles tendent à disparaître sous les alignements de pins, on peut encore retrouver les traces des anciens champs grâce aux talus plantés de chênes et de fragon surplombant les crastes qui délimitaient, jadis, les parcelles cultivées. Quant aux anciennes chênaies, leurs taillis résiduels subsistent presque toujours, ici et là, sous les pinèdes rectilignes. Souvent, un chêne parvient à déployer ses ramures à l'ombre des grands pins et les forestiers l'épargneront lors de la prochaine coupe.

La métamorphose de la lande rase est, elle, beaucoup plus radicale. Tout commence au 19ème siècle. En quelques décennies, grâce à un réseau de fossés (crastes), on draine l'eau des marais, on assainit, on met en culture les vastes territoires landais, on plante d'immenses forêts de pin. C'est la fin du système agro-pastoral où le mouton, en produisant le fumier nécessaire à la culture des céréales, permettait de survivre sur une terre pauvre. Privés des vastes "communaux" où ils faisaient paître leurs troupeaux, les bergers disparaissent un à un. On abandonne les parcs à mouton qui finissent par s'effondrer. Souvent, on abat les toitures des métairies inoccupées et des vieilles granges pour ne pas payer d'impôts. Une partie du patrimoine architectural landais s'évanouit dans la nature par indifférence ou par cupidité.

Exit donc, les bergers, les moutons, les vastes espaces qui donnaient trop cette pernicieuse idée de l'infini et de la liberté. Mais la misère, elle, demeure : misère des métayers, des salariés agricoles, des gemmeurs dont les révoltes se poursuivront jusqu'au milieu du siècle dernier… Misère, mais pas pour tout le monde ! La bourgeoise locale et bordelaise qui dispose des liquidités pour acheter les terrains et les mettre en valeur réalise, de son côté, d'excellents placements qui seront souvent à l'origine d'insolentes fortunes.

Et, le vingtième siècle ne sera pas en reste, avec la création de vastes domaines agricoles où l'on cultive les légumes à grand renfort d'engrais, de pesticides et de désherbants. Le maïs devient un produit typiquement landais -au point de s'imposer dans les recettes culinaires à la landaise. Cette plante tropicale qu'il faut arroser abondamment en puisant dans les nappes phréatiques contribue, à son tour, à l'assèchement des milieux humides. Entre 1980 et aujourd'hui, la moitié des lagunes disparaissent ! Avec elles, c'est l'esprit-même des landes qui s'évapore dans l'indifférence générale.

L'histoire des landes est une série de mutations douloureuses. La vie de la lande est une succession de lentes agonies. Mais Dieu que la forêt est belle ! Belle à couper le souffle !

Plus que les mots, ces quelques photos donnent une petite idée de ce que fut, autrefois, la lande rase, cette lande des bergers qui n'était pas encore celle des résiniers, cette lande mystérieuse que Brémontier et, tant d'autres à sa suite, n'avait pas transformé en la vaste forêt que nous connaissons aujourd'hui.


Voici la lande rase, la lande libre des bergers, entièrement livrée à la bruyère et à la molinie, au sable, au vent et à l'eau. Voici la lande sans fin des troupeaux
qui n'arrête jamais le regard … mais si on observe bien, les pinèdes envahissent déjà l'horizon. Voici la lande des lagunes aujourd'hui asséchées pour irriguer
les champs de maïs.


Au hasard des chemins, perdu au coeur de la vaste forêt, il n'est pas rare de découvrir un de ces anciens parcs à mouton ou une rustique cabane
de berger. De nos jours, le chaume a disparu, remplacé par une toiture de tuiles canal, mais les murs de bois restent identiques. Certaines bergeries
ont été transformés en palombière, d'autres, abandonnés, sont envahis par la végétation et semblent attendre, dans l'indifférence générale, que le
temps les efface à jamais, comme les bêtes et les pâtres qu'elles abritaient jadis. Qui se soucie de sauver ces traces d'un monde englouti par la forêt ?


Bien des maisons ont aussi disparu avec leurs métayers. Privée de toitures, leurs ruines hantent ici et là les chemins. Parfois,
comme à Callen, ce sont des bourgs entiers qui se sont volatilisés. D'autres demeures ont été rénovées avec plus ou moins de
bonheur, transformées en maison de campagne... Comme si une maison landaise pouvait être autre chose que de "campagne" !

Il est encore possible, aujourd'hui de retrouver ces traces, cette Atlantide sous un océan de forêts. Il suffit de regarder, il suffit de chercher un peu. La lande magique ne s'offre pas aux regards. La lande est pudique ; elle ne se dévoile que pour ceux qui la méritent, qui l'aiment. De préférence au petit matin quand la brume se déchire, ou le soir quand le couchant embrase les cimes des arbres, quand le cerf et le chevreuil s'enhardissent et prennent possession de leur domaine. Alors, la lande redevient mystérieuse et troublante, infiniment proche, intimement lointaine…


Il m'a toujours semblé que le regard incliné de ce jeune berger nous interrogeait :
Qu'avez-vous fait de mon pays ? Qu'allez-vous faire de votre pays ?
Il reste encore tant à sauver : des cabanes, des maisons,
des lagunes, des mares, des chemins, des sources, des fontaines,
des histoires vieilles comme le monde, des légendes ... en un mot, l'âme des Landes !

Car la lande, aujourd'hui, c'est aussi ça ...

Photo Google Earth
Les immense exploitations agricoles ont remplacé les lagunes (asséchées par l'irrigation des champs de maïs).

... et ça !


Déforestation pour le passage de la future autoroute Bordeaux-Pau A65 !

Sans oublier les futures LGV Bordeaux Toulouse et Bordeaux-Irun !

Document Sud-Ouest
Deux nouvelles LGV devraient balafrer les paysages du Ciron dans les années à venir !